Dans dix ou vingt ans, les politologues et les sociologues étudieront certainement cette affaire non pas seulement sous l’angle judiciaire, mais relativement aux enjeux politiques qu’elle implique ou suscite.

Les stratégies de communication adoptées par les deux parties et la bipolarisation de la classe politique qui en résulte sont effectivement des sujets de recherche pour l’intelligibilité de la chose politique.
Dans la perception commune, en effet, au-delà de ce qui est injustement reproché à Sonko, il y a l’identification du combat de toute une génération à cette affaire, mais également la légitimité politique d’un homme persécuté par un régime réfractaire à toute forme d’opposition. Ce n’est plus à proprement parler une affaire civile pendante en justice, il s’agit désormais d’une affaire politique pendante en justice et d’une justice elle-même pendante en politique. La crédibilité de la justice s’y joue en partie au même titre que la survie d’un pouvoir qui s’est embourbé dans cette affaire. En vérité, l’adhésion de l’opinion à la thèse de l’accusé est en grande partie justifiée par la relation de continuité qu’elle trouve entre cette affaire et celle qui a scellé le sort de Karim et de Khalifa. Sous ce rapport, il n’est pas exagéré de dire que les affaires Karim et Khalifa sont l’autre avocat qui plaide pour la cause de Sonko.
Et comme il n’est plus possible de revenir en arrière au regard de la tournure qu’a prise cette affaire, mais aussi relativement au coût en vies humaines, c’est une partie même de la démocratie sénégalaise qui est en train de se jouer dans ce conflit. Les institutions qui sont mobilisées voire entachées par cette affaire sont non seulement nombreuses, mais très sensibles ; de sorte que si notre république était une personne on pourrait dire qu’elle marche sur une corde raide.
Au moment où les supputations sur son désir de briguer un troisième mandat résonnent dans toutes les chaumières, ce serait difficile de le voir ne pas s’intéresser à cette affaire directement ou indirectement. Il n’est pas seulement question pour lui de survie politique, il est surtout question de survie tout court ! S’il perd cette partie, il n’aurait pas seulement perdu une bataille, il aura perdu les derniers ressorts et leviers politiques qui lui restaient soit pour sortir par la grande porte, soit pour s’aventurer dans la logique d’une troisième candidature.
Pape Sadio THIAM
Journaliste, Enseignant Chercheur en Sciences Politiques