Par Pape Sadio Thiam

La qualité d’un débat de radio ou télé est d’abord dans le choix des débatteurs (au lieu d’inviter les gens dont on veut faire la promotion ou avec qui on a des affinités, viser leur compétence et leur probité dans leur domaine), ensuite dans le choix des thèmes à débattre et des rubriques (on ne peut pas parler chaque semaine, et chaque jour de la même chose) dans un pays où tous les secteurs sont à sauver. C’est proprement avoir une cécité intellectuelle pour un journaliste que de réduire son champ d’investigation ou son intérêt au spectacle folklorique qu’est devenu le débat entre politiciens.
Le débat politique sénégalais est vicié par l’absence de thèmes : même quand on parle de l’école, c’est pour des généralités. En général l’homme politique sénégalais prend la parole, et évalue le point de vue des autres en fonction de principes aussi rudimentaires que « il est contre nous », « c’est un jaloux », « c’est un ennemi » etc. La politique est ainsi devenue un lieu de déferlement de la haine, l’opposition est une inimitié et la moindre critique est non pas étudiée, mais rangée dans le registre étroit des « avec nous » ou « contre nous ».
Certains journalistes qui devraient être les arbitres neutres de cette situation dangereuse pour notre pays, participent eux-mêmes à ce jeu malsain. Ils choisissent leur camp non en fonction de la vérité, mais choisissent plutôt la vérité en fonction des camps pour lesquels ils « travaillent ». Là où les sophistes disaient « à chacun sa vérité », on pourrait dire au Sénégal « à chacun sa presse » ou pire « à chacun son journaliste ». Les mensonges les plus flagrants sont mis en exergue alors que les analyses très intéressantes son purement et simplement ignorées parce qu’elles ne déterminent pas pour ou contre un camp.
Pourtant la place du Sénégal dans la géopolitique régionale, la question du terrorisme, celles des relations complexes entre la France et notre pays, devraient intéresser constamment les journalistes et les hommes politiques sénégalais. Mais ces questions très sérieuses sont plutôt laissées aux activistes qui, en général, ne les abordent que sous forme de slogans. Les activistes eux-mêmes semblent bénéficiaient d’une délégation de pouvoir : puisque les politiciens n’ont pas la carrure et la science requises pour se faire entendre et mobiliser les apolitiques et autres indépendants, ils collaborent avec les activistes sous le prétexte que l’enjeu est devenu vital, que le pays est en danger, etc. C’est une véritable supercherie à l’échelle industrielle : la haine est alimentée entre camps adverses et la conséquence est d’instaurer un climat qui n’est plus propice à une délibération saine.
La démocratie sénégalaise est donc en train de tomber dans les travers de celle grecque qui était finalement pervertie en foire d’inepties où n’importe quel rhétoricien pouvait faire passer des balivernes en s’appuyant sur un réseau de la haine et de la discorde. La haine est, en effet, contagieuse et c’est pourquoi les idéologues politiques (radio de mille collines) la manipulent insatiablement pour instaurer soit un climat de peur (dissuasion) chez les autres soit pour rendre impossible toute manifestation de la sagesse. Celle-ci, de l’Agora grecque aux media modernes, est l’ennemi des sophistes et de leurs héritiers que sont les politiciens de métier et les journalistes sans conscience nationale.