N°3 – SÉRIE : CHEIKH AHMADOU BAMBA, TRÉSOR MONDIAL CACHÉ, UN SYSTÈME DE COMMANDEMENT ICONOCLASTE ACCEPTÉ ET EFFICACE

L’histoire retiendra que Cheikh Ahmadou Bamba n’a pas seulement bâti des hommes : il a bâti une communauté structurée autour d’un système de commandement unique au monde. Là où les démocraties classiques échouent à garantir la stabilité, l’efficacité et l’adhésion populaire, lui a instauré une gouvernance iconoclaste, d’essence spirituelle, mais profondément fonctionnelle. Une verticale d’autorité acceptée par tous, sans contestation, sans opposition, fondée non sur les urnes, mais sur la légitimité morale et la conformité aux principes fondateurs.

UNE AUTORITÉ FONDÉE SUR L’ALLÉGEANCE SPIRITUELLE

Le système mouride repose sur une chaîne d’allégeance ascendante, allant du disciple jusqu’au Khalife général, et ultimement, à Cheikh Ahmadou Bamba lui-même. Chaque individu choisit librement son guide, lui fait allégeance spirituelle, et accepte d’obéir à ses directives, les ndigëls, sans discussion.

Cette chaîne, plus qu’une hiérarchie, est une pyramide de confiance où chaque niveau assume sa mission dans l’esprit du fondateur. Ainsi, la gouvernance n’est pas imposée par le haut, mais portée par la base. Dans la tradition instaurée par Cheikh Ahmadou Bamba, on n’ordonne que ce que l’on incarne soi-même.

Ce système a donné naissance à une obéissance volontaire, joyeuse, parfois sacrificielle, mais jamais aveugle : elle s’ancre dans la foi et le respect.

Lorsqu’un ordre est émis du centre, il est exécuté par la périphérie avec une discipline rare, signe d’un consentement intégral, fruit d’un modèle de formation enraciné.

La réussite d’un tel système tient donc à la qualité morale de celui qui commande. L’adhésion des disciples est totale parce que le modèle, en face, est pur, exigeant, détaché de tout intérêt personnel.

C’est un phénomène rarement observé dans l’histoire des civilisations : une autorité religieuse capable d’exercer un commandement absolu, sans recours à la coercition physique, tout en suscitant une obéissance volontaire.

UNE DÉSIGNATION SANS CONFLIT, SANS DIVISION

Depuis la disparition physique du Cheikh, chaque nouveau Khalife est désigné selon une tradition acceptée, respectée et jamais remise en cause. Aucune élection, aucune campagne, aucune division : le choix s’impose comme une évidence, car il repose sur des critères internes de piété, de maturité spirituelle et de conformité au legs de Cheikh Ahmadou Bamba.

Contrairement aux systèmes occidentaux marqués par les luttes de pouvoir, les fraudes électorales ou les oppositions interminables, la communauté mouride a mis en place un système de désignation du guide suprême fondé sur la légitimité morale.

Malgré le profond respect et la vénération que lui vouent les disciples, le responsable suprême de la communauté ne prend jamais de décision importante sans consulter les représentants de la communauté. Les sujets d’intérêt collectif font toujours l’objet d’une concertation, témoignant d’un esprit de gouvernance fondé sur l’écoute, la sagesse partagée et le sens des responsabilités.

Le consensus prévaut. Un miracle de gouvernance que beaucoup d’États peinent encore à réaliser…

Ce système est donc plus que démocratique : il est apaisé, indiscuté, durable. À l’inverse des régimes occidentaux traversés de crises de légitimité, le modèle mouride assure une continuité institutionnelle sans heurts depuis plus d’un siècle.

Ce pouvoir, accepté et respecté, ne repose pas uniquement sur la spiritualité. Il est aussi territorialisé. La ville de Touba appartient juridiquement à la communauté mouride, via un titre foncier établi dès 1978, sur la base d’un bail octroyé en 1930. Cette reconnaissance foncière, rare sur le continent, renforce la légitimité institutionnelle du modèle, et pose les jalons d’une revendication de statut spécial, que les plus hautes autorités de l’État ont promise à plusieurs reprises, sans la formaliser à ce jour.

UNE GESTION TRANSPARENTE BASÉE SUR LA CONFIANCE ABSOLUE

Autre singularité : les disciples remettent volontairement leurs contributions (en argent, en biens, en services) au Khalife général ou à leurs guides spirituels, avec une formule unique :

« Faites-en ce que vous voulez », disaient-ils, en y joignant parfois symboliquement une allumette, pour signifier leur abandon total et leur confiance absolue dans l’usage qui en serait fait.

Cette phrase, anodine en apparence, traduit un niveau de confiance quasi mystique. Ils savent que le guide, héritier de Cheikh Ahmadou Bamba, ne peut en faire usage qu’au service de DIEU, de la communauté et selon les principes fondateurs du Mouridisme. Cette rigueur morale, illustrée par le refus des intérêts bancaires ou l’humilité des dirigeants religieux malgré les milliards gérés, constitue une leçon vivante pour les États africains englués dans la corruption.

Une anecdote illustre aussi la maturité spirituelle et symbolique des autorités mourides. Lors d’une visite officielle du président Senghor à Touba dans les années 1970, un haut fonctionnaire sénégalais s’assit à même le sol pour saluer le Khalife. La délégation officielle s’en émut, mais le Khalife lui fit dire : « Tu représentes l’État. Tu dois t’asseoir sur le fauteuil, comme les autres.»

Ce rappel montre à quel point l’autorité religieuse savait respecter celle de l’État. Le Mouridisme n’a jamais cherché à effacer la République, mais à l’élever par l’éthique.

UN POUVOIR FONCTIONNEL, NON OSTENTATOIRE

À Touba, celui qui incarne l’autorité suprême vit dans dans des conditions sans aucune ostentation. L’ordre est maintenu en grande partie par les sentinelles de la communauté. Les décisions les plus stratégiques sont prises sans bruit, appliquées sans violence. Ce contraste radical avec les gouvernances classiques montre qu’un pouvoir peut être respecté sans être exhibé, appliqué sans être imposé, stable sans être rigide.

UNE RECONNAISSANCE RÉCIPROQUE ENTRE L’ÉTAT ET LA HIERARCHIE MOURIDE

Il est important de rappeler que, malgré son autonomie d’organisation, la communauté mouride n’est pas dans une logique de rupture avec l’État, mais dans une dynamique de complémentarité respectueuse.

Dans les années 1970, un haut fonctionnaire mouride, alors qu’il accompagnait le président Senghor à Touba pour une visite officielle, choisit de s’asseoir par terre par excès d’humilité. Informé de la scène, le Khalife général fit dire à ce dernier qu’il devait, par respect pour sa fonction et les institutions de la République, s’asseoir dignement sur un fauteuil, comme tous les autres membres de la délégation.
Ce geste symbolique témoigne d’un profond respect de la hiérarchie mouride envers l’État, et d’un attachement sincère à l’ordre institutionnel, loin de tout esprit de rupture.

En retour, de nombreuses personnalités publiques et chefs d’État sénégalais ont, au fil des décennies, reconnu la singularité de Touba, et évoqué la nécessité de lui accorder un statut institutionnel spécial, en raison de son poids démographique, de son autonomie de gestion et de son rayonnement religieux.
Cependant, cette reconnaissance formelle tarde à se concrétiser, comme si l’État, malgré son attachement verbal, hésitait encore à rendre à Touba ce que Touba lui accorde déjà dans les faits.

UNE ALTERNATIVE AFRICAINE À LA DÉMOCRATIE FORMELLE

Le Mouridisme n’a pas attendu les injonctions Extérieures, ni les ONG ou les institutions internationales pour bâtir un système politico-spirituel stable, éthique et performant. Son autorité repose sur la vertu, son efficacité sur la foi, sa stabilité sur l’adhésion populaire.

C’est en cela qu’il constitue une alternative sérieuse, africaine, au modèle démocratique occidental qui peine à s’enraciner sur le continent.

Dans la prochaine tribune (N°4), nous reviendrons sur le Développement territorial autour de la ville sainte de Touba, fondée en 1887, et qui illustre une vision stratégique de l’aménagement du territoire, sans aide extérieure, par la simple force de mobilisation interne.

À SUIVRE…

Magaye GAYE
Économiste international
Ancien cadre de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)

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