N°9 – SÉRIE « CHEIKH AHMADOU BAMBA : UN TRÉSOR POUR L’HUMANITÉ » – QU’ATTEND LE MONDE POUR ENFIN ADOPTER LA PERLE ÉCONOMIQUE RARE DE CHEIKH AHMADOU BAMBA ?

Ce 13 août, le Sénégal et la diaspora mouride célébreront le Magal de Touba, événement spirituel et populaire qui rassemble des millions de fidèles et qui attire l’attention du monde entier. Pour conclure cette série de neuf tribunes consacrées à Cheikh Ahmadou Bamba, il est important d’aborder une question essentielle : pourquoi, malgré sa force et sa cohérence, le modèle mouride n’a-t-il pas encore été adopté ou adapté à l’échelle mondiale et enseigné dans les grandes universités ?

UN MODÈLE ÉPROUVÉ FACE AUX CRISES MONDIALES

Le monde traverse aujourd’hui une crise profonde :

Gouvernance : les institutions sont fragilisées par la corruption, l’absence de vision et l’incapacité à bâtir un leadership éthique et efficace.

Éthique : les repères s’effacent, la recherche d’intérêt personnel prime sur le bien commun.

Économie et finances publiques : les États s’enfoncent dans un endettement abyssal, dépendant de financements extérieurs volatils qui brident leur souveraineté.

Autonomie et solidarité économique : rares sont les nations capables de mobiliser leurs propres ressources et d’organiser une entraide structurée pour soutenir leur développement.

Travail : la dignité, la discipline et le sens de l’effort reculent face à la quête du gain rapide.

Aménagement du territoire : les villes croissent sans vision à long terme ni intégration des besoins humains fondamentaux.

Culture : l’homogénéisation mondiale menace les identités et efface les cultures porteuses de valeurs.

Sur tous ces plans, Cheikh Ahmadou Bamba a conçu et mis en œuvre un système qui a fait ses preuves, permettant à sa communauté de prospérer en conjuguant foi, organisation et autonomie. Il a instauré une gouvernance fondée sur l’allégeance spirituelle plutôt que sur le calcul politique, mis en place une mobilisation financière interne massive, érigé le travail en acte de foi, planifié l’aménagement du territoire sur plusieurs générations, consolidé un ancrage culturel fort et encouragé une solidarité active, sans contrepartie.
Au-delà du savoir et du savoir-faire, il a placé le savoir-être au cœur de la formation de l’homme, inscrivant durablement dans la conscience mouride l’autonomie et la valeur du travail. Ce n’est pas un modèle théorique : c’est un système vivant, qui, par la grâce de Dieu, a produit des résultats tangibles et durables.

Dans un continent africain trop souvent perçu comme dépendant de l’aide extérieure, le Mouridisme offre un contre-exemple saisissant. En quelques millions de membres, il incarne une Afrique qui ne tend pas la main, mais qui se prend en charge. Ce modèle, fondé sur l’autonomie et la mobilisation interne, renvoie l’image de nations comme le Japon ou les États-Unis dans leur âge d’or, et même au-delà : là où les grands États peuvent fonctionner sur la base de déficits et d’emprunts, les Mourides bâtissent, financent et entretiennent leurs projets sur fonds propres, sans dépendre des marchés internationaux.

LES FREINS À L’APPROPRIATION INTERNATIONALE

Pourquoi ce modèle reste-t-il si peu exploité hors du Sénégal ?

  1. Une valorisation incomplète par ses propres adeptes
    Les disciples mettent souvent l’accent sur l’héritage spirituel de Cheikh Ahmadou Bamba, en laissant parfois dans l’ombre son héritage économique, organisationnel et stratégique. Les réussites en matière d’agriculture, de commerce, d’urbanisme ou de mobilisation de ressources restent largement confinées dans le cercle mouride, sans être traduites ni présentées comme un discours exportable au reste du monde.
  2. Un manque d’accompagnement de l’État sénégalais

Depuis l’indépendance, l’État n’a pas toujours joué le rôle de catalyseur qu’il aurait pu assumer. Le Mouridisme aurait pu être intégré comme levier national de développement, en soutenant par exemple la revitalisation des nappes fossiles pour sécuriser l’agriculture, ou en appuyant les grandes initiatives communautaires. Les projets de création d’une banque mouride, destinés à concurrencer les lobbys financiers internationaux, n’ont pas bénéficié de l’appui institutionnel nécessaire et ont parfois été freinés par des pressions extérieures.

  1. Une accessibilité intellectuelle et linguistique limitée

La majorité des écrits de Bamba, rédigés en arabe ou en wolof, restent peu traduits dans les grandes langues internationales. Cette absence de traduction et de vulgarisation prive le monde d’une compréhension complète de sa pensée et de son système.

  1. Des perceptions biaisées sur les modèles africains

Dans l’imaginaire dominant, l’innovation socio-économique vient rarement d’Afrique. Le Mouridisme est ainsi trop souvent perçu, à tort, comme une simple confrérie religieuse locale, ce qui occulte sa portée universelle en matière de gouvernance, de mobilisation économique et de transformation sociale.

  1. L’absence d’un organe structuré de recherche et de diffusion internationale

L’Université de Touba, financée à hauteur de 37 milliards FCFA sur fonds propres de la communauté, constitue un outil académique précieux, mais elle n’a pas pour mission principale de codifier et d’enseigner le modèle mouride comme système de pensée exportable. Il serait donc nécessaire de créer un Institut international du Mouridisme ayant pour missions :

  • Documenter et formaliser les méthodes et réussites inspirées par Cheikh Ahmadou Bamba.
  • Former des experts capables d’adapter ces méthodes à d’autres contextes, en Afrique et dans le monde.
  • Servir de centre d’échanges entre chercheurs, décideurs et acteurs économiques intéressés par ce modèle.
  1. La question du statut spécial de Touba

Cette reconnaissance, maintes fois promise par les autorités, permettrait à la ville sainte de disposer de moyens institutionnels et juridiques renforcés pour consolider son autonomie et accroître sa contribution à l’économie nationale.

DE LA RÉUSSITE COMMUNAUTAIRE AU MODÈLE UNIVERSEL

Si l’on veut que le modèle mouride soit reconnu et adopté au-delà de ses frontières, il faut qu’il soit rendu visible, lisible et crédible sur la scène internationale. Cela suppose un effort concerté :

1.Des disciples qui mettent en avant non seulement la spiritualité, mais aussi l’efficacité économique et sociale de leur système.

2.Un État qui comprend que le Mouridisme peut être un atout stratégique pour le Sénégal.

3.Des structures modernes capables de diffuser cette pensée et d’en démontrer la pertinence universelle.

Le monde est en quête de solutions concrètes à ses crises. Le Mouridisme, avec son économie de la foi, sa gouvernance de la confiance, son capital humain discipliné et sa solidarité sans condition, offre une réponse originale et éprouvée. Mais pour qu’il devienne une référence mondiale, il doit être présenté comme tel, assumé par ses acteurs, et porté sur toutes les tribunes du débat international.

Cheikh Ahmadou Bamba, s’il était encore physiquement parmi nous, ne compterait ni sur le Fonds monétaire international, ni sur le système bancaire et financier mondial, encore moins sur aucune puissance étrangère pour garantir ses transactions économiques. Par son exemple, il a démontré qu’il est possible de se passer de toutes ces dépendances, avec courage, lucidité et détermination.Les États africains, surtout ceux qui proclament leur souveraineté, devraient s’en inspirer.

À l’heure où le Magal de Touba s’apprête à rayonner bien au-delà des frontières sénégalaises, cette vision est plus que jamais une invitation : celle de transformer une réussite communautaire en un modèle universel au service de l’humanité.

Magaye GAYE
Économiste international

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3 commentaires

  1. Bien dis mais à mon avis la formulation reste ce qui fait que les blocages arrivent souvent .. la pensée d’Ahmadou bamba c’est la recherche de la perfection d’une vision tiré du prophète Mohamed donc il faut savoir l’interprétation des écrits pour savoir la portée de l’écrivain

  2. A mon avis, ce modèle aussi éprouvé soit-il ne convaincra les esprits à l’international que si, appliqué au niveau local, c’est-à-dire à Diourbel, il parvient à éradiquer la pauvreté dans cette région dont fait partie la ville sainte. On ne peut pas parler de modèle économique éprouvé dans une pauvreté ambiante. Car la finalité du développement c’est qu’il soit ressenti par la population. Merci quand même pour la réflexion, M. GAYE.

  3. Sylvestre Tetchiada

    Excellente mise en lumière (par Magaye Gaye) d’un modèle socio-économique africain unique, né de la vision de Cheikh Ahmadou Bamba, qui conjugue autonomie, discipline, solidarité et gouvernance éthique. On ne peut plus se questionner : le Mouridisme prouve qu’il est possible de bâtir un développement durable sans dépendance extérieure, grâce à la mobilisation interne et à une organisation rigoureuse.
    Pour qu’il devienne une référence mondiale, il faut documenter, traduire et diffuser ses méthodes, en les rendant accessibles aux chercheurs et décideurs internationaux. La création d’un institut dédié et l’appui de l’État sénégalais seraient déterminants. Dans un contexte de crises globales, ce modèle offre une alternative crédible, ancrée dans des valeurs universelles et une efficacité éprouvée.

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