N°8 SÉRIE : CHEIKH AHMADOU BAMBA – UN TRÉSOR MONDIAL CACHÉ – PRÉSERVER L’ESSENCE, PRÉPARER L’AVENIR – LES DÉFIS STRATÉGIQUES DU MOURIDISME FACE AU MONDE MODERNE

Dans un monde traversé par les crises économiques, la montée des inégalités, la perte des repères moraux et la marchandisation du savoir, il devient urgent de revisiter les modèles qui ont prouvé leur solidité. Les sciences économiques classiques, en dépit de leur raffinement théorique, peinent à concilier performance, justice sociale et durabilité.

Le modèle conçu par Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme, offre une réponse cohérente à cette impasse. Il combine rigueur spirituelle, discipline économique, solidarité communautaire et gouvernance éthique.
Mais pour qu’il conserve sa force et son originalité, le Mouridisme doit aujourd’hui relever plusieurs défis stratégiques, à la fois spirituels, économiques, sociaux et géopolitiques. Les ignorer reviendrait à affaiblir un héritage qui peut inspirer l’Afrique et le monde.

  1. PRÉSERVER L’AUTHENTICITÉ SPIRITUELLE

Le premier défi est d’ordre immatériel : préserver l’essence même du legs de Cheikh Ahmadou Bamba.

Face à la mondialisation, à l’individualisme croissant, aux nouvelles technologies et aux séductions d’une modernité débridée, le risque est réel de voir se diluer les valeurs fondatrices du Mouridisme : humilité, discipline, service désintéressé, rejet du matérialisme ostentatoire, amour de la science, respect de la hiérarchie, primauté du savoir-être sur le savoir-faire.

Préserver cette authenticité exige :

a) Un encadrement éducatif adapté aux réalités actuelles, sans compromis sur les fondamentaux spirituels.

b) Une vigilance accrue contre la marchandisation du religieux.

c) Une transmission intergénérationnelle qui s’appuie sur des symboles, des histoires vraies, et l’exemplarité des guides historiques

  1. STRUCTURER LA PUISSANCE ÉCONOMIQUE

Le Mouridisme dispose d’une puissance financière communautaire sans équivalent en Afrique. Mais cette force reste sous-exploitée. Voici quelques pistes de renforcement

a) Créer des banques mourides et des systèmes de financement endogènes pour réduire la dépendance aux circuits financiers classiques.

b) Mettre en place un holding communautaire capable de canaliser l’épargne et les investissements vers des secteurs stratégiques à haute valeur ajoutée : agriculture et elevage moderne, agro-industrie, énergies renouvelables, transformation du cuir, technologies.

c) Encourager les milliardaires mourides à diversifier leurs investissements, au-delà du commerce et de l’immobilier, vers des industries porteuses d’emplois qualifiés et d’innovation.

d) Exploiter le Magal comme levier de substitution aux importations : encourager la production locale des biens massivement consommés à cette occasion. Selon une étude sérieuse menée par l’université de Bambey, cet evenement religieux de haute portée rapporterait au bas mot 250 milliards de francs CFA à l’économie du Sénégal.

  1. NE PAS OUBLIER “SA PART DANS CETTE VIE PRÉSENTE”

Le Coran le rappelle :

“Ne néglige pas ta part dans la vie présente” (Sourate 28, verset 77).

Si construire des mosquées, des daaras et des infrastructures religieuses reste un pilier de la foi, il est tout aussi essentiel de veiller à l’amélioration des conditions de vie des centaines de milliers de disciples qui portent Cheikh Ahmadou Bamba dans leur cœur.
Une part significative de la collecte volontaire pourrait être allouée à :

1- Des programmes de logement social à Touba et dans les régions rurales.

2- Des projets agricoles communautaires garantissant l’autosuffisance alimentaire.

3- Des microcrédits ciblés pour les petits commerçants et artisans.

  1. VALORISER LE CAPITAL HUMAIN

La communauté compte des milliers de cadres, ingénieurs, économistes, urbanistes et experts dans tous les domaines, mais beaucoup restent sous-utilisés.

Le Mouridisme doit mieux employer ces compétences, notamment pour :

1_ La gestion de l’eau à Touba et dans les zones rurales environnantes.

2_ L’aménagement urbain et administratif de la cité, pour anticiper l’explosion démographique.

3_ Le développement de technologies locales adaptées aux besoins communautaires.

J’encourage, à l’exemple du mouvement associatif Touba Xepp qui regroupe des experts de l’eau mobilisant gratuitement leurs compétences, que les différentes filières professionnelles mourides s’organisent en véritables corporations spécialisées afin de mettre leur savoir-faire au service du développement de la ville et du Mouridisme.

  1. CRÉER UNE MARQUE MOURIDE À L’INTERNATIONAL

Le monde d’aujourd’hui comprend mieux les idées lorsqu’elles sont incarnées dans une marque forte et lisible.
Touba, au-delà d’être une ville sainte, peut devenir un label mondial associant :
Spiritualité, rigueur économique, artisanat et produits agricoles d’excellence, hospitalité sénégalaise.

Cette “marque” permettrait d’exporter des biens et services porteurs de valeurs, tout en consolidant l’économie interne. Franchement et objectivement, la pensée de Cheikh Ahmadou bamba mériterait d’être exportée au-delà des frontières.

  1. DÉVELOPPER LE TOURISME RELIGIEUX

Pour exporter le modèle mouride, il faut le faire connaître. Le tourisme religieux autour de Touba est une voie d’avenir :

a) Création de circuits touristiques retraçant la vie et l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba.

b) Mise en valeur des sites historiques, daaras et lieux symboliques.

c) Accueil structuré de visiteurs internationaux, avec des services adaptés (guides multilingues, musées, publications).

  1. RÉFLÉCHIR À UNE GESTION DURABLE DE L’EAU À TOUBA

La gratuité de l’eau à Touba est l’une des spécificités qui font la fierté de la communauté mouride. Elle traduit la vision de Cheikh Ahmadou Bamba d’un service essentiel rendu à tous, sans discrimination, et participe à l’image d’une ville sainte accueillante et solidaire.
Cependant, dans un contexte de croissance démographique rapide, d’urbanisation accélérée et de pressions climatiques, cette gratuité pose un défi de gestion : les gaspillages se multiplient, les installations vieillissent, et la demande croît plus vite que la capacité d’approvisionnement.
Préserver cet acquis tout en évitant les ruptures ou la dégradation du service nécessite :

a) Une modernisation des infrastructures pour réduire les pertes techniques.

b) Une éducation communautaire à la gestion responsable de l’eau, intégrée aux enseignements religieux.

c) Des mécanismes de contribution volontaire pour financer la maintenance et les extensions du réseau, tout en maintenant la gratuité pour les plus démunis.

La question de l’eau, vitale pour toute cité, est aussi une question de souveraineté et de dignité. Y réfléchir dès maintenant, c’est garantir que Touba pourra continuer à offrir ce bien précieux à ses habitants et aux millions de visiteurs du Magal, sans craindre de pénurie ni dépendance extérieure.

En conclusion, Cheikh Ahmadou Bamba a bâti un modèle qui transcende le religieux avec une économie de la foi, une gouvernance de la confiance, un capital humain discipliné, une solidarité sans condition.
Relever les défis actuels, c’est non seulement protéger cet héritage, mais aussi en faire un outil de développement pour toute l’Afrique.
Dans un monde en quête de repères, le Mouridisme peut être plus qu’une référence : il peut être une solution exportable, à condition que ses disciples s’organisent, investissent dans les secteurs stratégiques, et affirment leur présence sur la scène internationale.

Magaye GAYE
Économiste international
Ancien cadre de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)

Voir aussi

(Chronique/Football) – Kinshasa renversé : Merci Président Diomaye pour ce coup de fil aux Lions qui a tout changé

Mardi 9 septembre, à quelques heures du coup d’envoi à Kinshasa, le Président Bassirou Diomaye …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *