
Christopher Nolan est un scénariste et réalisateur britannique qui a dirigé moult films devenus cultes dans le cinéma contemporain et dont l’épitome restera sans doute « Batman : The Dark Knight ».
Son obsession thématique est le temps. Il l’a exploré de manière spectaculaire, métaphysique, évidente ou subtile dans « Inception », « Memento », « Interstellar » et plus récemment dans « Tenet ». Une de ses oeuvres demeure pourtant relativement peu connue : « Le Prestige ».
Dans ce film où il met en scène la rivalité entre deux magiciens prêts à tout pour réaliser des tours au dénouement – ou prestige – toujours plus ébouriffant, Nolan nous réserve lui même une fin qui clôt l’histoire de manière totalement inattendue, faisant ce long métrage un tour de magie où il nous réserve le meilleur pour la fin. Deux magiciens, des rebondissements dramatiques, une dénouement épique. Nolan est un génie mais il a surtout eu du temps pour écrire, tourner et monter cette fiction.
Le football, ce sport si unique, si prenant aux tripes, si riches de tragédies et gorgé de larmes, a montré qu’il n’avait pas besoin de la denrée si chère à Nolan – le temps – pour réussir à nous servir, lui aussi, un prestige dont nous nous rappelerons toute notre vie : une finale de Coupe du monde d’exception qui conclue un Mondial historique.
L’épopée guerrière du Maroc de Regragui, la victoire inattendue de l’Arabie Saoudite face à une Argentine réputée invincible, les remontées de match de dingue de la Corée du Sud, des Pays-Bas, la qualification aux forceps du Sénégal, l’élimination de la grande Allemagne, le désarroi de Harry Kane qui rate le pénalty de l’égalisation d’un match immense face à la France et les larmes de Neymar auront été des moments forts de cette Coupe du Monde. Le débat pointait déjà sur le bout de quelques lèvres : «Assisterions-nous à la plus belle Coupe du Monde de l’Histoire ?». Avec cette touche finale, le débat est désormais clos et la réponse devenue évidente : oui, le football nous a offert le meilleur des Mondial et l’a agrémenté d’une apothéose que nos rêves les plus fous auraient été incapables d’anticiper.
Ce soir, les deux magiciens sur le pré s’appelaient Lionel Messi et Kylian Mbappé. Tout comme les grands magiciens, ils avaient leurs assistants, valeureux ou carrément géniaux, je pense notamment à Martinez, Kolo Muani et Angel Di Maria. Tout comme les grands magiciens ils n’ont pas non plus occupé toute la scène, laissant le tour de magie se dérouler avant de lui donner, vers la fin, un coup d’accélérateur sans équivalent connu dans les mémoires collectives, ni dans ses rebondissements, ni dans son contenu émotionnel. Que dire du talent du jeune Bondynois, porteur d‘une haine de la défaite qui est la marque de tous les géants, déjà égal statistique de Pelé, auteur d’un triplé en finale de Coupe du Monde dont une reprise de volée formidable après un une-deux inspiré. La France a eu Kopa, Platini et Zidane. Elle a désormais Mbappé. Et pour encore longtemps.
Que dire de l’autre protagoniste de ce match qui restera dans l’histoire ? Que reste-t-il vraiment à dire de Lionel Messi ? Voilà plus d’une décennie que ses dribbles chaloupés, ses frappes cliniques et ses buts inombrables en ont déjà fait l’un des plus grands de son sport. Il lui « manquait » pourtant un titre de champion du monde, surtout aux yeux des Argentins, restés nostalgiques de Diego Armando Maradona, cet autre gaucher au talent de prestidigitateur, autrement plus sanguin et viscéral que le poli gamin de Rosario. Parti un peu trop tôt à Barcelone, son talent n’a jamais été discuté mais pendant longtemps, il n’était pas tout à fait l’un des leurs comme pouvait l’être Diego, l’enfant terrible de Boca Junior. Que peut-on dire de plus de son tournoi où Lionel, ce talentueux cousin qui a grandi en Europe, est devenu Messi, le gringo débridé qui a porté, match après match, coup de rein après coup de rein, moment décisifs après moments décisifs, un pays tout entier. Il l’a fait, à 35 ans, avec la passion et la pression de millions de Muchachos qui n’en pouvaient plus de devoir remonter jusqu’en 1986 pour humer l’air d’un succès mondial. Il l’a fait pour ses millions de fans à travers le monde et qui rêvaient également, après la récente fin de la malédiction des Copa América perdues (2015, 2016, 2019), de le voir mettre un terme à celle des défaites en Coupe du monde (2014, 2018).
Un ami m’a dit que le football devait ce trophée à Lionel Messi. C’est une belle formule. Il y a dix ans, « Leo » était déjà le meilleur joueur du monde et Julian Alvarez, son si généreux coéquipier en attaque, n’était encore qu’un gamin de 12 ans tout heureux de se prendre en photo avec lui. Le football n’est pas toujours juste et il ressemble beaucoup, sur ce point, à la vie. Celle-ci n’épargne pas toujours les plus travailleurs, les plus honnêtes ou les plus généreux. Mais pour Alvarez, Enzo Fernandez, Christian Romero et tant de Muchachos qui ont grandi en admirant les arabesques de Messi, il aurait été plus qu’injuste de voir leur idole et désormais coéquipier mettre un terme à son immense carrière sans soulever cette Coupe. Ils la lui ont offerte autant qu’il se l’est offerte.
Quand l’âge me rattrapera davantage, je pourrai dire que j’ai vu cette finale de coupe du Monde où le meilleur joueur de l’histoire, au crépuscule de sa carrière et un jeune français de 23 ans auront porté deux collectifs qui auront tout donné, tout laissé, tout offert sur le terrain. Du spectacle, des larmes, de la sueur, de l’émotion, des buts d’anthologie (la reprise de volée de Mbappé ou la remontée de 80 mètres sur le deuxiéme but argentin avec un jeu en une touche exquis), tout y était. Alors disons merci à ce sport qui nous a offert Pelé, Puskas, Eusebio ou Cruijff, hier; Zidane, Ronaldo, Iniesta il y a si peu et enfin Cristiano, Messi et Mbappé. Disons merci à ce sport qui nous a offert des moments épiques lors de la finale de la Ligue des Champions 2007, tout comme lors du premier titre continental si attendu du Sénégal ou lors des coups de boule de Zidane en 1998 et 2006. Disons merci au football pour ce dénouement, ce prestige absolument dément d’une Coupe du monde qui aura été magique et que nous n’oublierons jamais. C’est en effet tout un art de savoir garder le meilleur pour la fin. Et ce soir, les critiques accepteront volontiers de ranger leurs plumes et de rester muets car l’art qui se joue à 22 et se déroule sur un pré vert a encore démontré, aidé en cela par ses magiciens, qu’il ne finira jamais de nous émerveiller.
Vive le football !
Fary Ndao